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Elle est dans la rue, il pleut, presque en face de l’Ecole pratique des hautes études, à Paris, c’est il y a longtemps.
Dégoulinante, elle entre dans une salle de cours se mettre à l’abri.
Il est là avec d’autres à trier les dossiers d’élèves.
 

Elle, étudiante américaine, inscrite en philo et en religion, ne sait rien de lui.
À la fin de la séance, il lui propose d’aller boire un pot au café pas loin.
Il lui pose trois questions, celles que, paraît-il, il pose à tous ses étudiants.
Elle a oublié les deux premières ; la troisième, c’est : « Qui est dans le placard ? ».
A celle-là, elle se souvient avoir répondu : « Toi ».
Et lui « C’est d’accord, je vous inscris à mon cours ».
« Mais je n’ai pas postulé ».
Elle suivra son enseignement plusieurs années durant.


Voilà ce qui traîne dans ma tête en allant voir ce film de Desplechin, et finalement, oui, c’est bien lui qui est dans le placard, tout au long du film, Devreux, on n’apprend guère sur lui, mis à part son vrai nom, Győrgy Dobó, d’origine roumaine (renomination du nom « Deutsch », porté par son père et sa mère juive), ses amours adultérines, son tropisme à vouloir épouser une riche américaine, son désir d’être un ethnopsychologue, même si la France a émis des réserves sur sa capacité à pratiquer l’analyse.

Quand Jimmy Picard, un indien qui vit dans une ferme, qui ne sait pas grand-chose de sa culture native, tente avec Devereux de comprendre le sens de ses violents maux de tête, qui le mettent à terre et l’empêchent de vivre au retour de la guerre, il ne sait pas qu’il part pour un pays sans dieu, sans religion de consolation, mais accepte de se confier à ce psy peu orthodoxe, sans doute parce qu’il se sent respecté par lui. La technique de travail à la Devreux, c’est l’implication, il assume cette position non neutre, presque amicale, jusqu’à la fin du transfert, quand l’indien est enfin capable de s’opposer à lui, sortant de sa fâcheuse habitude d’être lâche face au blanc, comme d’ailleurs il est aussi lâche face aux femmes, sa mère, sa sœur.

La première question est pour son nom originel en BlackFoot, qui signifie « celui dont tout le monde parle », bien trouvé pour un homme revenu du front en France, et que les médecins du Winter Veteran Hospital de Topeka au Kansas examinent par tous les bouts, cherchant collectivement à résoudre son énigme. Ils finissent par faire venir cet anthropologue quand leur approche traditionnelle n’a rien donné.

Ce sera la première ethnopsychanalyse de Devreux, et probablement la première ever, dont il rédigera une monographie au titre éponyme de celui du film.

Quand l’homme rêve à un camion, une plante, une femme, Devreux, lui, demande la marque, l’espèce, la signification de son prénom en indien. Il pose des questions d’anthropologue, cherchant à « indexicaliser » (au sens de Garfinkel) le discours de son patient.

Jimmy P. grandit entouré de femmes fortes qui l’élèvent à la dur et de petites filles puis femmes qu’il aime et qu’il laisse mourir sans qu’il ait rien pu faire pour les sauver. Le drame d’enfance, une petite fille prise dans la glace et lui, petit, n’ose pas se mettre en danger pour lui venir en aide. Le drame adulte, une femme qu’il aime, retrouvée après un long malentendu, mal opérée à l’hôpital, dont il apprend la mort par hasard. On suit le fil non linéaire d’une psychanalyse qui aborde les questions traditionnelles de la psy, sexualité, paternité, place dans la famille, mais tout autant les rapports de pouvoir entre blancs et Indiens, entre hommes et femmes, sans mythification du native american, sans culpabilité du blanc. Juste une intense curiosité pour ce destin qui bégaie, l’étrange étrangeté d’un être humain.

Un joli moment, une de ses amantes venue rejoindre Devreux, résume son travail par un empilement de poupées gigognes, l’âme dans le cœur dans l’esprit dans le corps dans la personne, et on se demande ce qu’est cette instance du cœur entre l’âme et l’esprit, comme si l’âme méritait une double coque, tant elle est fragile. Et on comprend que Devreux soigne les maladies de l’âme avant tout.

Intéressante aussi, l’offre faite par les médecins de l’hôpital à Jimmy P. de devenir assistant psy, et comment il commence à s’emparer du vocabulaire professionnel en recourant au mot « complexes » ; son psy, qui, au début, s’était contenté de dire à ses collègues qu’il n’était pas atteint de schizophrénie, finissant par lui donner un diagnostic sur son cas, comme une conclusion, quand Jimmy s’en sort enfin. On devrait toujours donner le diagnostic à la fin quand le patient sait y faire avec son symptôme.

Sur Devreux, on n’en apprend pas beaucoup plus, qu’on aimerait en savoir davantage sur son travail avec les Amérindiens mohaves et sur les bifurcations de son destin entre USA et France, un grand film sur lui reste à faire. Mais la relation est réussie de ces années passées au Kansas, de ces entretiens, de la vie psychique de Jimmy, beau, le traitement de la cécité, des rêves, et cette sensation que le réalisateur s’identifie davantage au patient qu’à son psy, belle interprétation aussi des acteurs, dans un film de Desplechin, qu’on aime sans arrière-pensée pour une fois.


Affiche du film
jimmy p., psychothérapie d’un indien des plaines
arnaud desplechin
avec benicio del toro, mathieu amalric

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