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Bernard-Marie Koltès (extrait)
Arnaud Maïsetti
Les Éditions de Minuit


« à propos de Dans la solitude des champs de coton »
p. 260

L’écriture viendrait noter ces expériences, concrètes et physiques, imaginaires ou fantasmées, synthèse de rencontres, condensation des affrontements, de tendresse et de force, où dans le va-et-vient acharné de l’homme contre l’homme se dirait une part de la vie éprouvée. Au réalisme de façade de Combat de nègre et de chiens, au cadre allégorique de Quai Ouest, succède le champ géométrique et théorique de Dans la solitude des champs de coton. Un vaste espace, dont le terme est défini par l’absence de terminaisons singulières, singulier justement en son usage et non pas dans sa détermination ; espace, ou plutôt territoire, comme pour des animaux qui le partagent et se l’approprient en fonction de telle ou telle pratique : le lieu de la pièce sera celui qui désigne le non-lieu par excellence, terre des trafics en dehors des trafics autorisés, no man’s land surgi dès lors que deux hommes se croisent et le peuplent pour échanger ce qui n’est pas licite : le deal.

« Je n’ai jamais aimé les histoires d’amour. Ça ne raconte pas beaucoup de choses. Je ne crois pas au rapport amoureux en soi. (…) Quand vous voyez un couple, qu’ils n’arrêtent pas de s’engueuler, qu’ils sont odieux mutuellement, et qu’on vous explique, oui, mais ils s’aiment, je sais que les bras m’en tombent ! Ça recouvre quoi, le mot « amour », alors ? Ça recouvre tout, ça recouvre rien ! Si on veut raconter d’une manière un peu plus fine quand-même, on est obligé de prendre d’autres chemins. Je trouve que le deal, c’est quand-même un moyen sublime. Alors ça recouvre vraiment tout le reste [1] ! »

C’est bien parce que le deal « raconte » à la fois mieux et davantage qu’il jouit d’un privilège sur le sentiment. Terme ultime d’une dialectique sublime, le deal recouvre à la fois l’amour et l’hostilité, la parole et les malentendus, sans jamais être parole d’amour ou d’hostilité, mais pur espace de la parole qui s’établit : il nomme la relation dans ses contradictions — terme neutre qui, loin de neutraliser l’échange, le densifie et l’épaissit de possibilités qui en font la modalité plurielle de l’échange recouvrant tout.

La neutralisation agirait dès lors sur le terme de l’échange le plus objectif en apparence, et le plus intime en puissance : les relations d’affaires. Reste un cryptage : à force de nier la dimension sentimentale de la pièce, Koltès ne cesse d’attirer l’attention sur elle, et de désigner, comme un secret qu’il faudrait préserver, la puissance — comme une virtualité — érotique de cet échange. Et c’est justement à force de la nier qu’apparaîtra pour beaucoup : une scène de drague. Mais comment parler de l’homosexualité pour Koltès autrement que comme un sous-texte encore plein de non-dits, d’interdits, justement là où « l’inter-dit » serait cette parole de dissimulation et de révélation ? D’ailleurs, tout l’humour du texte résiderait à jouer avec ces références : ces jeux à double sens où chacun entend bien la parole de l’autre, mais où personne ne voudrait le concéder. Koltès ne semble ainsi pas dupe de son propre jeu avec ces implicites.

« Vous promenez votre cul derrière vous comme un péché pour lequel vous avez du remords, et vous vous tournez dans tous les sens pour faire croire que votre cul n’existe pas. Mais vous aurez beau faire, on vous le mordra quand-même. »

Maître dans l’art de lever les motivations profondes d’un dialogue, Chéreau finira par rendre absolument lisible cette dimension érotique, contre Koltès évidemment, qui avait tout fait pour mettre en avant, dans les entretiens, la part d’hostilité radicale entre les deux personnages.

[1François Malbosc, Bleu-Sud, mars-avril 1987 (non revu par l’auteur, repris in Une part de ma vie), op. cit., p.76

écrit ou proposé par Christine Simon
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne le 9 mars 2018 et dernière modification le mardi 28 mai 2019
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