En face du théâtre, ce jour, vu la découpe d’un arbre malade. Ne pas regretter cet abattage, il était inévitable. Peut-être sauver sa mémoire, son âge, sa présence ici bien avant que les maisons ne soient construites, bien avant Gérard Philippe, bien avant que cette rue ne s’appelle rue Eluard.
Je lui ai regardé les entrailles, impression d’obscénité, d’indiscrétion, voire même d’attentat à la pudeur sur cet ancêtre. Ai pourtant résolu de lui calculer les dents, de lui révéler les cernes, d’entamer une étude technique, dendrochronologique et historique, façon que toute cette boucherie n’ait pas eu lieu pour rien.
Sachant qu’une chaîne de tronçonneuse Stihl fait environ 42 maillons, chacun des maillons mesurant 16 mm, combien fait la longueur de la lame ? 42 x 1,6cm, elle fait 67,2 cm.
Sachant que sa longueur représente à peu près le rayon du tronc de mon arbre à sa base, combien mesure la circonférence de l’arbre ?
Sachant qu’on mesure la circonférence d’un arbre par la formule 2 Π r.
Sachant que Π = 3,1416.
Sachant que la circonférence de mon arbre est donc d’environ 4,22 m, j’en arrive à la datation de l’arbre.
Sachant que durant sa vie un arbre connaît un accroissement de circonférence d’environ 2,5 cm par an, comment estimer son âge ?
J’obtiens quelque chose comme cent-soixante-huit ans, mais ce serait trop simple car la pousse d’un arbre n’est pas régulière, la vitesse de croissance n’est constante que pendant une durée limitée de sa vie, un chêne millénaire ne fait pas trente mètres de circonférence, n’est-ce pas, je peux donc assez facilement me dire que la moyenne de pousse de mon arbre pourrait aussi bien être de 1,6 cm, et dans ce cas, cela porte son âge à deux-cent-soixante-trois ans.
Prenons une cote moyenne, mettons deux cents ans, ça amène mon arbre à naître vers 1816, il n’a pas connu les crues centennales de 1658 et de 1740, mais bien la grande inondation de janvier 1910, qui a dû lui laisser des cicatrices sans doute, et l’urbanisation de la révolution industrielle, les poussières de charbon, l’air vicié, les chantiers de routes et de maisons n’ont pas dû l’arranger.
Mais bien sûr, la maladie de la mort, celle qui sonne l’heure de l’abattage, c’est ce chancre coloré du platane, car c’en est un, le champignon tueur, Ceratocystis platani , celui dont on identifie les ravages sur les photos, enfin que tu crois, parce que Plaine Commune t’informe que c’est un Phellinus Punctatu, le champignon tueur, enfin, juste pour précision, la taxinomie l’écrit Phellinus punctatus , et les symptômes ne semblent pas correspondre, enfin, moi ce que j’en dis, je ne suis pas mycologue, hein.
Et voilà pourquoi votre arbre est malade, rend ses derniers chatons, se désagrège de l’intérieur, s’assèche, tout en lançant ses dernières racines avec l’énergie du désespoir, qui vient zébrer les façades de la maison qui le jouxte, faisant craindre l’effondrement.
Et ce n’est pas moins de quarante-huit platanes qui vont être abattus tout le long de la rue. Et ça fait mal.
(antienne)
J’écris ici la triste histoire
d’un platane à la fleur de l’âge,
splendeur amputée du jambage
tombé, scié, au champ d’horreur.
photos prises à l’iphone
Messages
1. vie et mort d’un platane, 16 mars 2016, 08:01, par Dominique Hasselmann
"Ces chênes que l’on abat", avait écrit Malraux... L’arbre tronçonné aura laissé au moins cet éloge pas si funèbre que ça...
Voir en ligne : Métronomiques
2. vie et mort d’un platane MàJ1, 7 janvier 2018, 12:28, par Dominique Hasselmann
Il survit toujours, depuis quelque temps, sur votre site...
... et l’autre site (géographique), grâce à ce désencombrement fait en touchant du bois, s’en trouve sans doute grandement amélioré !!!
Voir en ligne : Métronomiques