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la confession d’un bâtard du siècle

Ah, je te tiens, bâtard, pris en flagrant délit de tentation de pathos, tu te la jouerais victime, on pleurerait sur toi. Dear bastard, donc. Ceci est une tentative de réponse, celle de Marguerite au Maître, tu ne vas pas te mettre à renier ton statut, vendeur d’âmes. Toi, qui m’as appris à lire, par ce double bégaiement, le tien et celui que tu infligeais aux textes : tu ânnonais les textes, Ludovic, à la fac le soir jusqu’à pas d’heure, tu suçais du Kafka jusqu’à la moelle, mot à mot, son par son, en français, en allemand, tu mettais Marthe Robert au pilori, pis que pendre. Avec toi, Ludo, lire était jouissance, approcher le sens des mots, un acte sexuel.

Je tiens ma vengeance textuelle, après ce rouge aux joues que tu m’infligeas commentant mon commentaire du texte de Kafka.

« Le premier signe de la connaissance est le désir de mourir. Cette vie apparaît insupportable, une autre, inaccessible. On n’a plus honte de vouloir mourir ; on demande à quitter la vieille cellule que l’ont hait pour être transféré dans une cellule nouvelle que l’on apprendra à haïr. Un reste de foi continue en même temps à vous faire croire que, pendant le transfert, le maître passera par hasard dans le couloir, regardera le prisonnier et dira : « Celui-là, vous ne le remettrez pas en prison, il viendra chez moi ».

Je m’étais effondrée en pleurs dans les lignes et t’avais rendu mon devoir. "Auto-apitoiement, pathos", avais-tu noté péremptoire au stylo rouge (oui, rouge, tu osas). Péremptoire, à l’écrit tu l’étais bien davantage qu’à l’oral, péremptoire, le souffle, là, ne butait pas. J’ai dû relire les Préparatifs de noce à la campagne encore et encore, jusqu’à ce qu’un jour enfin je comprenne. L’humour, Kafka. Le maître n’a pas de majuscule, le chouka se moque de lui-même, pris dans ses fantasmes sm, il creuse le non-amour du père jusqu’à la corde, jusqu’à ce que ça ne fasse plus mal parce que le pus est parti. A cette condition seulement, on peut écrire, plus de pathos, juste l’écriture la cinglante, avec panache la traversée des affects. L’humour, Kafka. J’entends d’ici ton commentaire. Ah, ah, ah, auras-tu ri de ton rire africain, c’est si vrai quand tu l’écris, que ton rire est bachique, hirsute, haïtien, entre foutre et meurtre, on avait vaguement peur quand tu riais, en même temps tu nous tenais dans ton verbe heurté.

Voilà toute envie de vengeance envolée. De fait, j’hésite. La confession d’un bâtard du siècle vibre sur la tangente. L’humour n’est jamais loin, le pathos à peine effleuré, on la sent la tentation, les chaussures rafistolées à l’élastique, et s’il était seul, le « on m’a né » ne serait que le borborygme d’un bébé barbare, alors qu’il s’enchâsse dans un incipit qui cherche l’exacte formulation de ce qui s’appelle ne pas naître. Au commencement donc, tu n’es pas né.

Comment commence le quant-à-soi quand on bégaie, qu’on est enfant d’une mulâtresse qui vous abandonne à la campagne les premières années où tout se joue, qu’on fait pipi sur soi plus souvent qu’à son tour. « Je suis le petit garçon qu’on appelle Ludo. Ludo, par-ci, Ludo par-là. Ça veut dire que je commence », dis-tu. Et tu décris, cette sensation de soleil « Quand je reviens de chez marraine par le métro, le fameux soleil orange plein la tête et le ventre lourd, c’est vrai que je me sens moi ». On ne dit pas mieux les balbutiements d’être.

Je n’irai guère plus loin pour ne pas déflorer ; les émois sexuels, l’apprentissage de la littérature, les pleurs sur l’Innommable de Beckett. Sans oublier l’amour du sport, la guerre d’Algérie, la découverte de Martin Luther King, ou l’opéra. Wozzeck et moi, comme Wozzeck et toi, un peu d’identification ne saurait nuire (ici).

Et enfin le devenir écrivain, là aussi ça bégaie, qui ne sauve rien du tout. Pas de happy end. A l’orée de la fin, qu’est-ce qui reste ? Le sale bilan d’une sale vie ? Ou l’inépuisable tentative d’être, comme espérance ? D’ailleurs, ça finit sur 68, avec une belle liste de slogans soixante-huitards, tous collés à la queue-leu-leu, comme effet de traîne de cette gigantesque partouze créative.

Et sans doute n’ai-je pas compris les amours tarifées, mais j’ai aimé les scènes de baisade, comme aurait dit Flaubert. Et j’ai été plus sensible à Rina Ketty qu’à Fausto Coppi, ou bien était-ce, j’oublie.

En refermant les pages tard dans la nuit, je ne sais pas si j’ai lu de l’auto-fiction ou de la poésie en prose. Un roman, oui. Dès qu’une vérité dépasse cinq mots, c’est du roman, nous rappelles-tu avec Jules Renard. Confession d’un nègre blanc aurait supprimé le suspens. Privilégier le bâtard n’est pas certain. Pour moi, tu as été le meilleur pisteur de mots qui soit. Mais ça, c’est pour le Part Two.


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la confession d’un bâtard du siècle
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écrit ou proposé par Christine Simon
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première mise en ligne le 12 janvier 2014 et dernière modification le jeudi 21 janvier 2016
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