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ne pas avoir eu de mère

« Ne pas avoir eu de mère ? Je savais au moins qu’elle existait, je pouvais la situer, généalogiquement parlant (même si j’ignorais en général dans quelle partie du monde elle pouvait bien se trouver). Ma sœur l’a vue encore bien moins souvent que moi, pour elle ça devenait une présence quasi-fantomatique.

Mais il est frappant de constater que ces enfants qui ont vécu toute leur vie dans une famille d’adoption, parfois heureuse, éprouvent quand même (en général vers la fin de l’adolescence) le besoin de retrouver leurs "vrais parents".
Interrogés, tous répondent qu’ils éprouvent le "besoin de savoir".

......

Cela débouche rarement sur une relation durable. Ils se contentent souvent d’une rencontre, et d’une seule. Quelques heures pour toute une vie. Ce qui se passe pendant ces quelques heures est évidemment un grand mystère ; il me semble cependant que je suis, mieux qu’un autre, en mesure de l’imaginer.

Il n’y a, chose curieuse, presque jamais de haine ; non, ce qui est en jeu est quelque chose de plus froid, et de plus triste. Il n’y a pas davantage de pardon, et j’avoue que je prends assez mal les déclarations de ma mère, « on doit tous se pardonner les uns les autres », etc., où elle s’efforce de singer Dostoïevski, dans ce qu’il a de plus exaspérant. Je n’y vois qu’une ultime pitrerie, et du genre sinistre.

Ce qui est en jeu, c’est la reconnaissance qu’un mal a été commis dans le monde ; et que, d’anneau en anneau, il continue de dérouler ses conséquences. C’est la reconnaissance, aussi, que ce mal est définitif ; que rien de ce qui a été commis ne pourra être défait. C’est la reconnaissance, enfin, que ce mal est limité ; c’est la transformation d’un mal indéfini, ignoble, en un mal restreint, défini dans l’espace et dans le temps. C’est une tentative d’interruption du déroulement illimité des chaînes causales ; de la reproduction sans fin du malheur et du mal.

.....

On peut briser la chaîne de la souffrance et du mal. Tous cependant, même ceux qui n’ont pas cette force, tirent, de cette rencontre, un grand enseignement. C’est en quelque sorte la face sombre du Tat tvam asi, le "Tu es ceci", dans lequel Schopenhauer voyait la pierre angulaire de toute morale. La face lumineuse, c’est la compassion, la reconnaissance de sa propre essence dans la personne de toute victime, de toute créature vivante soumise à la souffrance. La face sombre, oui, c’est la reconnaissance de sa propre essence dans la personne du criminel, du bourreau ; de celui par qui le mal est advenu dans le monde. Sa propre essence, on l’a à présent devant soi ; alors qu’on est, en même temps, la principale victime. Ce qui se produit alors est difficile à décrire, mais n’a rien à voir avec le pardon chrétien. C’est plutôt comme une compréhension, une lumière ; une connaissance du bien, comme du mal, comme de sa propre nature, intermédiaire. Et un souhait, autant que possible, qui peut prendre la forme d’une prière, d’être délivré de l’emprise de la voie mauvaise. »

Michel Houellebecq

p. 207-208
Ennemis Publics
Michel Houellebecq et Bernard-Henri Levy

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chen zhen
lire les cendres écouter le silence
1999
courtesy galleria continua
crédit photo christine simon


archive publiée sur anthropia # blog en octobre 2011

écrit ou proposé par Christine Simon
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne le 10 septembre 2014 et dernière modification le vendredi 17 octobre 2014
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