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portrait de rue #7. la rue de la mare

1er septembre 2019
c’était pour une histoire de vampires

portrait de rue #7. la rue de la mare

C’était pour une histoire de vampires, ça devait se passer rue de la Mare, sans savoir comment on a coulé, manque d’habitude, on n’y navigue que la nuit, on s’est fait engloutir, c’est à cause de la Place Henri Krasucky, elle n’est pas claire, on ne voit pas bien les confluences, résultat on a pris la rue des Cascades, mais t’avais pas ton Navigateur, oh, tu sais, moi, c’est tout dans la tête, elle est longue, elle est étroite, la cascade, à un endroit elle coude, à l’angle un café littéraire, qui s’appelle « Café littéraire », du monde à l’intérieur, on est entraîné par le courant, quoi faire d’autre, et là sur la gauche, on tombe sur un fontaine couverte, toit à deux pentes de pierre, d’ailleurs c’est écrit dessus « Fons », en dictionnaire intérieur tout le texte en latin un peu au-dessus du niveau, on wikimédira le lendemain, c’est le Regard Saint-Martin ou Regard des Petites-Rigoles, un joli texte [1] avec sa traduction [2], on glisse, on n’a pas le temps, débarqué sur une rue qu’on prend à droite, on descend Ménilmontant, pas de doute on fait le dénivelé en intégral, on plonge sur le boulevard, la belle ville se venge, ça zigzague, on remonte à droite dès que possible, ça rame pour escalader la rue des Pyrénées, vraiment n’importe quoi, on se gare, et on rejoint à pied la rue de la Mare, pavés, goudron, dos d’ânes, restes de vieux immeubles, tentatives de programmes HLM, garages, une école de filles, avec son Défense d’afficher, en passant on n’a pas frémi devant le cinquante-huit, on apprendra plus tard par @Agia31 sur Twitter que là se passe l’Adieu à Volodia de Simone Signoret qu’on n’a ni lue ni rencontrée, on ignore ses Guttman ou ses Roginski, on en connaît pourtant des descendants de ces juifs polonais ou ukrainiens, mais n’habitent pas dans la rue bric-à-brac, une faille spatio-temporelle née du choc des quartiers, une rue de fonds de tiroirs aussi, un délaissé quand on a épuisé les budgets, indécidable, un endroit dont la ville n’est pas fière, mais un coin où se cacher de la ville, des vitrines à associations, on note « Autre monde », c’est ça, une laverie à deux chaises espacées, réservée « jeune couple sage », une rue sans pignons mais culturelle, on remarque des silhouettes noires de loin, une grappe, on s’approche, gros nuage blanc, agglutinée sur le trottoir en face du Mobilhome, un bar, et la musique qui s’attrape en glissant, c’est quoi en plein Paname 20 un orchestre de country, ici, comme une erreur, la vitrine fait un peu passe-plat, genre baie arrière de caravane, on reconnaît une copine à l’intérieur, ça cogne fort l’Emmylou, alors on renonce, on est là pour les vampires, poursuivant, on cherche, tiens, celui-là, les yeux noirs, le piercing, qui guette, pourrait faire l’affaire, mais à gauche sur un mur borgne, un dessin de chat déplié, façon saut en extension, signé « un chat nommé Rubens », c’est là que la rue finit, sur le manteau de plastique du Café Le Popul’air, rue du Chevreau, avec DJ contenu dedans, mais on a rendez-vous dans le théâtre avec des fous, ce qui étonne à l’intérieur, les géraniums, des trucs à grand-mère, populo, accrochés à la rampe d’escalier, on monte tout en haut vers la salle obscure, on espère encore les vampires, nous attendent les fous, un conte à dormir debout, une histoire de fête foraine, la p’tite Mab et sa famille, de ces histoires de Bibliothèque bleue, oubliée par un colporteur chez un bouquiniste, on y est, au jeu du chamboule-tout, la famille gagne une jarre, on l’examine, on la traite avec douceur, elle a pris la place de la p’tite Mab, alors la p’tite Mab se perd, un Dracula guette, l’amadoue, ambiance expressionniste, mais ça part en quenelles, ce mélo, Mab retrouve les autres, et quand on est presque à la porte, dans un moment d’inattention, s’écrase au sol dans un grand bruit la jarre que tout le monde trouvait moche, mais sans se le dire, on rit, quand les mots bégaient, de ces petites musiques qui résonnent comme des pensées, on reste encore à boire un peu et à parler avec les copains, on ne regrette pas les vampires, de nos jours c’est fini, on en a même épuisé le réchauffé, le seul qui vient poser des questions, on lui dit, non merci, non merci, non merci, à la manière d’un Cyrano dans sa grande tirade, pas celle du nez, en repartant, une femme dit, tu vois la grille rouge, là-bas, on venait dans les années quatre-vingt répéter nos scènes avec Alain, fait un peu froid, alors, on se presse, on se met à l’abri dans l’auto.

[1FONS
INTER MARTINIANOS CLUNIACENSES ET VICINOS TEMPLARIOS COMMUNITER
FLUERE SUETUS, POST ANNOS XXX NEGLETUS ET VELUTI CONTEMPTUS
COMMUNIBUS IMPENSIS AB IPSA SCATURIGINE ET RIVULIS STUDIO-
SISSIME INDAGATUS ET REPETITUS : TUM DEMUM NOBIS IPSIS FORTITER
ET ANIMOSE TANTÆ MOLI INSISTENTIBUS NOVUS ET
PLUSQUAM PRIMÆ ELEGANTIÆ AC NITORI REDDITUS, PRISTINUM
REPETENS OFFICIUM, NON MINUS HONORIFICE QUAM SUMMO NOSTRO
COMODO ITERUM MANARE CŒPIT ANNO DÑI 1633 IDEM LABORES ET SUMPTUS IN COMUNI PARITER REPETITI SUNT UT SUPRA
ANNO DÑI 1722

[2« Fontaine coulant d’habitude pour l’usage commun des religieux de Saint-Martin de Cluny et de leurs voisins les Templiers. Après avoir été trente ans négligée et pour ainsi dire méprisée, elle a été recherchée et revendiquée à frais communs et avec grand soin, depuis la source et les petits filets d’eau. Maintenant enfin, insistant avec force et avec l’animation que donne une telle entreprise, nous l’avons remise à neuf et ramenée plus qu’à sa première élégance et splendeur. Reprenant son ancienne destination, elle a recommencé à couler l’an du Seigneur 1633, non moins à notre honneur que pour notre commodité. Les mêmes travaux et dépenses ont été recommencés en commun, comme il est dit ci-dessus, l’an du Seigneur 1722 »

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