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Un des grands auteurs contemporains de théâtre se confie à Hervé Pons. Philippe Minyana fait entendre sa voix, donne sa biographie comme un biotope, avec générosité et sans restriction. Pour qu’on comprenne d’où il parle.

Pour qui connait Mme Fesselet, les Vuillemin, pour qui a vécu les premières années de sa vie dans la rue de Belfort, pour qui a déjà respiré les forsythias en fleurs, qui ne sentent rien, ou plongé sa tête dans un bouquet de violettes cueillies dans les forêts proches, assister à un spectacle de Minyana a quelque chose de ravageur.

Cet auteur sait capter l’esprit buté et l’accent obscène, le poids des guerres carnivores sur les générations suivantes. Il sait en une métaphore rendre l’âme d’un pays, ou plutôt sa non-âme. Grâce à Anne-Marie, la voix cendrée de Catherine Hiegel, dans une sobre mise en scène de l’auteur donnée à Théâtre ouvert, résonne encore dans ma tête, le texte dans toute sa matité et la brutalité d’un coup de fusil sonnant le glas d’une vie.

Dans Chambres, Anne-Laure et les fantômes, ou Inventaires, enquête théâtrale sur des faits divers, Philippe Minyana donne la parole aux gens de peu, des sortes de vies minuscules à la Michon. Son théâtre fait dans l’auto-fiction et dans la farce tout à la fois, quelque chose entre humour juif et grand-guignol, qu’il appelle "farcerie", un rire qui moque sans réflexivité.

Il tisse, à coups de scènes ciselées, un quotidien composite, des relations parentales dysfonctionnelles, la grand-mère mise à l’écart par la famille dans sa propre maison, les voisins qui guettent, qui guignent derrière les persiennes ; par l’espace, les maisons, les volets, il dresse un huis-clos de solitude à plusieurs.

Comme la fille d’Inventaires qui ne se calcule pas, les enfants de ces familles-là seront tous vendeuses à Prisunic ou travailleurs à la Peuge-Pays de Montbéliard, l’antre de Peugeot, dont on ne se sort que les pieds devant. La vie leur aura passé dessus sans qu’ils comprennent ce qu’ils venaient faire là.

Le théâtre de Minyana souvent mis en scène par Robert Cantarella, se perd parfois dans une sorte de nomind’s land, le trou du monde de l’esprit, on croit à un défaut de mise en scène, c’est juste la perte de soi que provoque un réel innommable.

Voir La Maison des Morts au Vieux Colombier, et on comprend l’âpreté de la parole, quand ça éructe ou que ça grince. Elle a crevé, a crié le père de Minyana, à la mort de sa mère, des mots sans fioriture, qui butent sur l’humain, un inconscient violent qui échappe du social, qui révèle la misère intérieure.

Tout l’art de Minyana est là, faire saigner le sens dans la concaténation de paroles obèses. Chez ces gens-là, M’sieur, on ne pense pas, ça pense tout seul.

J’ai à voir avec ce pays, j’étais, enfant, voisine de cet homme-là ; comme lui, j’ai lu, rongeant mon frein derrière les fenêtres, puis j’ai couru très vite à peine adolescente, pour y échapper. Paris m’a sauvé, lui aussi apparemment.

A lire absolument, parce qu’il parle de tous ces mondes, quand les livres, de la bibliothèque Peugeot ou d’ailleurs, tirent les enfants par la main, quand l’art, la musique vous sont donnés par de grands nerveux, qui vous transmettent l’espérance à leur insu.

Philippe Minyana et moi avons miséré notre enfance, chacun de notre côté, à quelques encablures de distance. Les bateaux se saluent quand ils se croisent de loin. Comme d’autres qui viennent lire ici et qui se reconnaissent, je voudrais le saluer. Parce qu’il y a quelque chose de commun à ceux qui rencontrent l’art, pour s’autoriser à naître, enfin.


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écrit ou proposé par Christine Simon
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne le 12 janvier 2014 et dernière modification le dimanche 12 janvier 2014
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